De ma mère, il ne reste pas grand-chose.
Ses tableaux, certes, mais beaucoup sont à la cave. Je ne les aime pas tous. Certains me rappellent sa part d'ombre, et je n'ai pas envie de l'avoir sous les yeux. D'autres ne sont pas très bons. Maman n'avait pas vraiment le sens des proportions et ses quelques portraits ne sont franchement pas géniaux. D'autres me plaisent vraiment, ses iris, son pin, le grand bouquet de fleurs…
Le boucher albanais est passé chez Maria pour abattre un mouton. Comme toujours, pour elle, c'est un drame. Ce mouton, elle l'a aimé, embrassé, porté dans ses bras, nourri au biberon, il avait même un nom. Mais il faut bien manger et payer ses dettes (payées en côtelettes). Alors, elle se fait une raison en essuyant ses larmes. Je n'ai pas assisté au coup de couteau létal, mais j'ai aidé à découper la bête. Je suis revenu avec un bout de foie, deux reins, un demi cœur et deux kilos de côtelettes pas encore découpées. Ce soir, j'ai mangé un bout de chaque abat, le train de côtes est au congélateur en attendant que Muriel revienne.
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La première fois que je l’ai rencontré, je n’ai vu que ses pieds. Mais c’était déjà quelque chose d’inoubliable. Il devait être 16 heures, dans le lit asséché de la rivière qui se déverse, par forte pluie, sur la plage de Potistika. Un vieux pick-up Mazda bleu était garé juste à côté des tentes que nous avions installées à l’ombre fraiche de deux platanes séculaires sur le sol limoneux de ce qui ressemblait au bord d’une rivière. De la fenêtre du conducteur sortaient deux pieds. Deux pieds comme je n’en avais encore jamais vus avant cette année 1973. Ils étaient larges, noueux, musclés, mais il ne faut pas s’imaginer les pieds d’athlète des statues grecques de l’époque classique. Non, ceux-là étaient de bons gros pieds de paysan, poussiéreux, aux gros orteils épais, le cal ancien des talons fendu de profondes crevasses noires de plusieurs jours sans chaussures et sans douche.
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La vie en plein air impose quelques désagréments aux personnes habituées à un certain confort. Disons-le franchement, le caca accroupi, même en pleine nature, ce n'est pas une évidence pour tout le monde, spécialement pour des occidentaux. Peu souple, j'ai toujours eu des problèmes pour m'accroupir, et ça ne s'est pas amélioré avec l'âge. Il avait bien fallu s'y faire pourtant, quand nous passions quatre mois à camper dans le lit de la rivière : au moins une fois par jour, nous devions répondre aux appels de la Nature.
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Operabase est un projet que Muriel et moi avons porté à bout de bras en dépit de toutes les difficultés, sans jamais faiblir dans notre enthousiasme ni notre détermination.
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Presque trois ans ont passé depuis le dernier article. Par hasard, en mettant de l'ordre dans mes messages, je suis tombé sur une alerte de commentaire, et, plutôt par curiosité, je l'ai relu, le commentaire et l’article.
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Mir geyen un wandern arum oyf der Welt Mit Nacht un mit Kelt Un mir singen dos Lied Nous avançons et nous marchons tout autour du monde, dans la nuit et dans le froid, et nous chantons La chanson (traduit approximativement du yiddish)
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Aujourd’hui, samedi, quatrième jour de vacances. Des vacances, je ne me rappelle plus la dernière fois que j’en ai eu de pareilles, c'est-à-dire plus d’ordinateur, sauf pour écrire ces histoires ce qui n’est pas du travail, mais une nécessité, plus de modem, plus de téléphone, plus rien qui puisse me rattacher à ma vie habituelle.
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Potistika est le nom de « notre » plage, ou du moins celui de la grande et belle plage où nous allons quand le soleil couchant ou la fin de saison a chassé les touristes. C’est sur cette plage que s’était agenouillé Christian Cavalero et qu’il avait dit « C’est le Paradis », quand, pour la première fois, en juillet 1973, nos pieds en ont foulé le sable. Cette plage est orientée plein est, ce qui veut dire que dès que le soleil disparaît derrière les collines de l’ouest, il commence à faire sombre, alors que de l’autre côté, vers le golfe de Volos, il fait encore jour et surtout chaud.
Combien de fois n’y sommes-nous pas allés parce que nous avions raté l’heure, cela ne se compte plus depuis ces 45 ans. En fin de saison, évidemment, dès que l’ombre arrive, il fait souvent un peu frais en sortant de l’eau.
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J’ai ouvert les yeux comme on le voit dans les films d’horreur, comme ça d’un seul coup, klang, comme si j’avais eu une vision. Sauf que ce n’est pas un film d’horreur, bien au contraire, c’est un film de bonheur, ces yeux grand ouverts ne sont que le résultat de mon réveil interne : j’avais décidé de me réveiller à 5h30, sans l’aide du téléphone portable, et, ce matin, ça a fonctionné. Le film d’horreur, c’est juste pour bien comprendre l’image.
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On l’a déjà chanté mieux que toi. Je le sais bien sûr, mais bon, alors il ne faut plus le chanter ? Mes amis chanteurs qui me lisent connaissent bien le problème : est-ce qu’on va imiter la diva ou a-t-on vraiment quelque chose de nouveau ou de personnel à raconter ? Et puis ce qui est personnel semble parfois bien présomptueux, pour peu qu’on ait un peu de modestie. D’un autre côté, je me dis que mes textes sont sans prétention et lus par une dizaine de personnes qui me connaissent, des amis, alors, tant pis, je m’y lance moi aussi, j’ai envie, ce soir, de parler des objets, de ceux-là, les chargés d’émotions.
Il y a un homme que je découvre chaque jour, c’est mon ami Kostas Krikelis. C’est avec lui qu’aux aurores et par bonasse, je vais à la pêche. Je le découvre lentement parce que les limites de mon grec rendent difficile l’approfondissement des concepts et souvent, nous en restons à une phrase simple que chacun de son côté analyse en scrutant le fil de nylon qu’on vient de relancer dans l’eau.
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Il fallait acheter une souris pour Muriel. Celle qu’elle avait prise avec elle a rendu l’âme, il n’y a qu’à elle que ça arrive (l’année dernière, c’était son alimentation qui était morte). Une si belle journée, une bonasse des grands jours, la première, nous aurions pu profiter de la mer, même encore froide, mais peut-on vivre sans souris ? Personnellement, je n’y arriverai pas, je ne peux pas le reprocher à Muriel. Bon. Nous voilà donc partis aux aurores, autour de 11h, vers Volos la Bruyante.
Le trajet entre Igoumenista et Volos a toujours été pénible. Comme cela fait partie du jeu et puisque, morale judéo-chrétienne oblige, on n’a rien pour rien, les virages, la chaleur, la lenteur, les mauvais restaurants, le froid en haut des cols faisaient que ce trajet qui nous prenait deux jours à l’époque où nous le faisions avec les enfants était relativement bien accepté par la famille. Personnellement, j’aimais ces difficultés, dernier vestiges des aventures de mon adolescence quand nous faisions le voyage en mobylette.
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Aussi bizarre que cela puisse paraître, j’ai eu une éducation religieuse catholique, on ne rit pas dans la salle ! C’était une des multiples contradictions de mes parents de nous envoyer, mon frère et moi, à l’école du Sacré-Cœur de la rue Barthélémy, juste derrière la belle église des Réformés tout en haut de La Canebière.
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J’aime appeler ça « Le Grand Départ ». D’abord en souvenir de Jean de la Ville, c’est certain, mais cette année, je me suis rendu compte d’une analogie avec la vie des paysans d’autrefois. On appelait ça la transhumance. D’autres, plus bourgeois, disent prendre ses quartiers d’été. D’autres, encore, partent simplement en vacances. J’aime bien la transhumance des anciens. Ce n’est pas pour me tourner les pouces que je pars, j’emporte avec moi mes outils de travail, ordinateurs, écrans, claviers, etc., seules restent ici les chaises de bureau, elles seront remplacées par les inconfortables fauteuils en fer de la Terrasse sur l’Égée. Ce n’est pas plus mal. Elles nous pousseront à rester moins calés devant l’écran. Passer à un autre lieu plus adapté avec la saison, ou alors auquel je m’adapte mieux aux beaux jours. Les gens aussi, la langue, celle de mon ventre autant que le français même si je suis loin de la maîtriser aussi bien (je lis lentement et je ne sais pas écrire!!!)
« Le 22 août, je pars seul en Grèce, et j’y serai seul sans Muriel jusqu’au 2 septembre, tu viens? ».
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Ma santé va bien, mais si on en parlait. Les années passent et je vois des amis autour de moi avec divers problèmes, qui un accident, qui une opération, qui une maladie. Ma santé à moi, je crache trois fois par terre en l’écrivant pour chasser le mauvais œil comme le font les Grecs ici, donc tf, tf, tf, ma santé va plutôt bien. Je dirais même de mieux en mieux depuis que le chant est devenu un hobby et plus une obligation.
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« Avrio exi, endaxi? ». Kostas, le regard rieur comme à son habitude, passe au bout de la terrasse. Il connaît déjà ma réponse. Demain matin, à 6 heures, rendez-vous ici, le premier arrivé réveille l’autre s’il n’est pas là. Bien sûr j’y serai au bout de la terrasse, plutôt crever que de rater une partie de pêche à la palangrotte. La barque de Kostas est un peu trop lourde à charrier pour une seule personne et il a besoin d’aide. La charrier, puisqu’ici, il n’y a pas de port et que les barques sont sur la plage, le plus haut possible pour les protéger des vagues de houle qui peuvent être très violentes et monter très haut.
Être chanteur d’opéra demande quand même quelques dispositions naturelles. L’une d’entre elles, c’est la capacité à bien dormir, de ce sommeil qui fait oublier tout le stress d’une représentation, tout oublier finalement. Dormir n’a jamais été un problème, même maintenant que j’ai rendu mon tablier.
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Le bleu, l’immensité du bleu, disons bleu-gris puisque le ciel est brumeux, mais quand même un bleu gris profond. Oui, c’est cela, profond, comme l’âme des Hommes. C’est ce bleu que j’ai en face des yeux, à la pointe du bateau, du ferry que nous venons de prendre à Ancône, celui qui nous mène vers Igoumenitsa, début de cette 44ᵉ édition du voyage au fond de ma Grèce, que celles et ceux que j’y invite feront avec moi.
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Température aujourd'hui : 33°. Température ressentie : bien plus, quand le petit vent s'arrête. Un rayon du soleil traverse les feuilles de la vigne au-dessus de ma table et vient se concentrer sur mon épaule, elle bout. Muriel m'a mis un t-shirt sur le dos, c'est mieux, mais je transpire. Devant l'écran de l'ordinateur, un melon embaume. Il était déjà mûr il y a trois jours, ce soir, ce sera du miel. Au loin, le paysage immuable, mais toujours renouvelé, des Forstonks, petits moutons du vent du nord, petit vent qui risque de se calmer vers les 15h, j'irai certainement à la pêche, au même endroit, les mêmes trous, le même bonheur. C'est l'été, enfin...
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Une semaine déjà que nous sommes là, mais quelle semaine ! Il s’en passe des choses ici. Pas vraiment des choses de vacances, celles de la vie d’un pays. Dans trois jours, vote pour décider de l’avenir de la Grèce. Choix simple pourtant : accepter le chantage des crapules de la finance mondiale, vendre le pays à vil prix et continuer une austérité qui a depuis longtemps montré son inefficacité et sa cruauté, ou prendre la décision courageuse de lever le poing et de dire non.
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Tout arrive. La combinaison sèche sur le fil, à côté ma serviette de plage, les harpons sont rangés dans le cagibi, la vaisselle est faite, le sac bleu qui est presque plein sur le lit. Je suis en avance. À midi, quelques restes, trois dernières tranches de pasterma, du pain rassi réchauffé à la poêle, un peu de riz qui reste d’avant-hier, une demi tomate. Le frigo est pratiquement vide. Il me reste à talquer le caoutchouc de la combinaison et le masque dans son plastique, plier la serviette, faire un vague ménage (à fond la salle de bain, on est Arménien quand même !), et c’est tout.
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La première journée ici a été effectivement difficile, et je n’ai pas vraiment senti la raison d’être ici. Le temps ? Minable : 14°, vent, pluie, mer déchaînée, seul, seul et frigo vide, sentiment de déprime peu habituel. Rester là à contempler depuis la fenêtre le désastre naturel et le vide intérieur ? Ouvrir l’ordi et rechercher des « amis » sur Facebook à qui confier son mal-être ? Retourner au lit et attendre que ça passe ? C’est mal connaître la bête. Seul, oui, mais libre ! J’ai pris la bagnole, une superbe Fiat Grande, qui n’a de Grande que le nom, et je suis retourné à Volos (50 km). Pourquoi ? Manger un gyros grec, dans un boui-boui grec et avec des Grecs, ne suis-je pas venu pour ça. Après quelques emplettes, 200 g de pasterma, un soudjouk arménien kaftero (piquant oh là là), 200 gr de tarama blanc, deux produits de beauté grecs pour Muriel (si encore, elle en avait besoin, mon adorée…), voilà, j’étais prêt à la pire des luxures.
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Mais que c'est difficile ! Il est 8h45, le train pour Bâle est parti depuis vint minutes et mon ventre est encore tout chamboulé par plein d'émotions contradictoires. Il faut du temps pour que "les larmes du départ ne brûlent plus mes yeux". La douleur de la séparation de la bien-aimée n'est pas comme le trac qui disparaît dès l'entrée sur scène, non, celle-là, elle dure. Je la déteste. Pour la faire passer, j'ai ouvert mon ordinateur, je l'écris, le la mets dans une boite dans laquelle j'espère la regarder de loin. Le train est déjà à Bienne et je me prends à l’imaginer, mon adorée, devant son écran, elle aussi en train d'essayer de faire passer la chose.
Je suis chez moi, calme apparemment, mais à l'intérieur ça bout. C'est dimanche, ici, il fait beau, mais là-bas aussi. La météo de Skiathos donne 26° aujourd'hui avec un vent à 17km/h, une belle bonasse.
Dernier message, on appellera ça un épilogue, histoire de prendre un mot grec pour finir. Mais c'est juste histoire de faire un bon mot, parce que ce n'est pas fini, juste la fin de cette 42eme édition. Si j'ai de la chance, et tous ces textes que j'ai écrits le prouvent, il y aura encore plein d'autres éditions du même voyage, tant que ma santé le permettra.
C'est fait, mais ça fait mal.
Ce matin, beau soleil, mais vent et pull Gant. Dernier petit déjeuner de céréales, sans céréales pour moi (s'il n'y a plus d'huile ni de graines de lin, la crème Budwig ne vaut rien) et que du sarrasin pour Muriel (beurk). Essai de manger le yaourt traditionnel avec la peau sur la terrasse, ça caille. Même au soleil et avec Gant, difficile. La mer très bleue, mais de grosses vagues. La Nature insiste lourdement...
Je m'étais dit que je n'écrirais plus rien d'ici à notre retour en Suisse. Mais là, je ne peux pas résister.
Ce matin de nouveau, torse nu sur la terrasse, belle journée de fin d'été, pourtant, c'est le 20 septembre, petit vent du sud-est, jolie bonasse... Je regarde pour la je-ne-sais-pas-combien ème fois les Forstonks. Je sais ce n'est plus original de le dire ni de le faire, peu importe. Ce matin, c'est avec un peu de nostalgie à l'avance, puisque nous rentrons en Suisse mercredi prochain.
J’aime voir finir le jour sur cette plage sur les bords de la mer Égée, encore sauvage et épargnée par le progrès. C’est un spectacle dont je ne me lasse pas depuis quarante-deux ans que je viens ici. L’horizon, à cette heure de la journée et par bonasse, est presque tangible. Il est réconfortant et solide. Son infinité calme et courbe remet les idées en place, en ordre, et, par là, les rend claires. C’est un moment de la journée où les projets naissent, les décisions se prennent et les peurs s’évanouissent. La vie y prend presque un sens, on se plaît du moins à l’imaginer.
Le but principal de ce voyage à Volos était la récupération de la voiture de location, mais joignant l'utile au désagréable, il fallait en profiter pour régler quelques problèmes : rendre le masque-ventouse qui s'embue chaque fois qu'on l'utilise, acheter une flèche de rechange, aller chez Papayiorgiou pour remplacer un verre rayé des lunettes de Muriel, acheter un pull en coton parce que le soir, il commence à faire un peu frais (oublié le mien en Suisse), acheter un gel à l'aloe vera pour les coups de soleil (très efficace), sans oublier l'huile de lin chez le marchand bio. Pas le temps de s'ennuyer.
Aujourd'hui, c'était le jour pour aller récupérer la voiture de location. Sur le voucher, le rendrez-vous avait été donné à 11h30, au port de Volos, sans plus de précisions. La société Auto Union est inconnue à Volos et le port est très long. Hier dimanche, j'ai téléphoné, sans réponse. Notre propriétaire nous a proposé gentiment de nous pousser jusqu'au village pour prendre le bus de 8h. Départ d'ici à 7h30. A la question du pourquoi si tôt (il faut dix minutes pour monter au village), la réponse a été évasive : le bus passe entre 8h et 8h30, mais des fois plus tôt...
Depuis déjà trois jours, la mer est inaccessible. Pas de pêche, pas de plage, Komo est trop étroite et recouverte par les vagues, Potistika de fin de vacances insupportable tellement il y a du monde. Par dessus tout ça, nous n'avons pas encore de voiture pour aller profiter de l'eau toujours calme du golfe de Volos, à une vingtaines de kilomètres d'ici.
Fourtouna (φουρτούνα) est à plus d'un titre un faux-ami. Cela ne veut pas dire fortune, mais tempête. Inutile de raconter les quiproquos quand nous avons entendu ce mot pour la première fois. Il y a deux types de fortunes ici : fortune du nord et fortune de l'est. La fortune du nord est créée par le meltème. Quand il est violent, cela crée des vagues très fortes, pas très hautes mais serrées. Mais comme le meltème se calme toujours en fin d'après midi, on peut toujours, si on a vraiment envie, aller prendre un bain sans trop se faire remuer.
Le vent s'était calmé hier soir. Il y eut même le vent de terre qui annonce une journée de beau temps a venir. Une fois de plus, mes prévisions de vieux loup de mer ont été fausses. Ce matin, la mer est démontée. De grosses vagues d'une houle soulevée par une tempête loin au large vers la Turquie déferlent de face sur les Forstonks. Des creux de 3 mètres les recouvrent dans une explosion de blanc. Ce spectacle sans cesse renouvelé est fascinant. Ceci dit, il y a quelque chose dans ces quatre récifs qui ne laisse pas indifférent, même par temps calme.
Quand j'y pense, je me demande encore comment nos parents ont pu nous laisser partir sans mourir de souci. En 1973, il n'y avait pas de téléphone portable, et pas beaucoup de téléphones non plus. Peut-être ont-ils pensé que le fait que mon jeune frère Richard nous suive en voiture était un gage de sécurité. La voiture, c'était une Renault 8. Avec lui Suzanne, ma copine. Je me demande aussi comment Richard a pu gérer ça, de suivre des mobylettes à 40km/h en pointe. Nous n'en avons jamais parlé.
[Mes rêves] Ils connaîtront le large et sa bonne amertume / Les goélands perdus les prendront pour des leurs". Ces vers de Jean de la Ville ne me quittent pas. Est-ce le lieu, est-ce la Mer Égée, est-ce ce calme matinal, je ne sais pas. Autre pensée récurrente ce matin, notre arrivée ici, la première, en juillet 1973.
Argalasti est le chef lieu de cette région, le Pélion Sud. C'est également là que se trouve la mairie d'une multitude de petites communes. La fusion s'est faite il y a quelques années, mais chaque village a gardé son nom et son "proïdoros" (maire). Par contre, les villages ont perdu leur conseil communal, remplacé par un bureau administratif ouvert quelques jours par semaine. En tant qu'étranger, je n'ai pas vu de gros changement. A Argalasti se trouve un centre de santé avec des médecins gratuits à disposition, en général des étudiants fraîchement diplômés. J'ai entendu dire que, depuis la crise, ces médecins ne touchaient aucun salaire. Mais en général, avant d'aller au "kentro igias", on passe en premier chez le pharmacien. C'est lui qui aiguillonne les patients, et donne, sans ordonnance, antibiotique, cortisone et autres médicaments interdits chez nous.
Kostas est un "mastoras", je pense pour de bon, c'est à dire qu'il a dû être d'abord apprenti avant de passer "maître" maçon. Il a bien gagné sa vie en construisant, lui-aussi, les maisons des touristes allemands du coin. Il a quelques années de moins que moi, mais comme pour beaucoup de travailleurs manuels, son corps, et surtout ses genoux, se sont usés plus vite que ceux des intellectuels. Il est donc à la retraite. Ce n'est pas la retraite des grecs (ils ne la touchent plus...) mais une espèce de placement dans une banque étrangère dont les revenus lui permettent de survivre. Il est grand, le teint clair, un sourire ravageur toujours accroché au visage quand il voit une femme, et quand il parle de pêche.
Hier soir, trop épuisé, trop bouleversé, trop entre rire et larmes pour écrire quoi que ce soit.
Ce soir, je ne suis pas très clair dans ma tête et surtout dans mes doigts, excusez-moi mes amis des éventuelles fautes de frappe. A cause de la connexion faiblarde dans cette chambre d'hôtel, contrairement à mon habitude, j'utiliserai Word pour écrire ce texte, le correcteur d'orthographe m'aidera.
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Cette fois mon cœur, c’est le grand voyage.
Nous ne savons pas quand nous reviendrons.
Serons-nous plus fiers, plus fous ou plus sages ?
Qu’importe, mon cœur, puisque nous partons !
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C'est là que tout se bouscule. Vendredi dernier, je suis allé au Consulat de France à Genève pour récupérer ma nouvelle carte d'identité et un nouveau passeport. Sauf qu'avec le temps, on en oublie les fondamentaux : vendredi dernier, journée normale de travail en Suisse, 15 août en France, et le Consulat, c'est un bout de France.